Diwall d’al Laer ! – Gare au voleur ! (1)
Ar gorriganed a veze dre holl al lanneier gwechall. Gwelet e vezent deus an noz peurvuiañ. Ar re-se a veze paotred bihan du ha roufennet o visaj. Met kreñv e vezent, kreñv evel kezeg, goude ma oent bihan ha pa c’halle ober, e troke ar vamm unan deus he bugale deus ur bugel a gristenien. Mont a rae e-barzh an tier pa veze den ebet er gêr, aet tout an dud d’ar park. Ma veze ur bugel bihan en e gavell, e tenne ar bugel gwenn-se deus e wele hag e lake unan deus he mibien e-barzh, ur paotrig du. Pa errue an dud d’ar gêr deus ar park , e welent ar paotrig du-se er c’havell hag e ouient diouzhtu : -« A ! Bez’ eo bet ar gorriganez kozh du-mañ ha laeret ar bugel deomp ! » Ha neuze , evit degas ar gorriganez da gerc’hat he bugel, e veze lakaet laezh diouzhtu war an tan ha pa veze al laezh o virviñ, e stage ar paotrig da gaozeal hag a c’houlenne : -« Ober petra ‘maout aze ? » -« A ! Bremañ ‘ouzout kaozeal ! » ‘veze repontet dezhañ. Neuze e veze ret kemer ur vazh ha dornañ al lutin bihan ken a hope, a hope gwashañ ma c’halle ! Neuze, e veze klevet e vamm anezhañ o krial, n’eus forzh pelec’h e veze hag e teue en-dro gant bugelig ar feurm, an hini bet laeret ganti. Adkemer a rae he hini hag ez ae kuit neuze… | Partout autrefois dans les landes, il y avait des korrigans. On les voyait surtout la nuit. C’étaient de petits êtres noirs et ils avaient le visage ridé. Mais ils étaient forts, forts comme des chevaux en dépit de leur petite taille et quand elle le pouvait, leur mère échangeait l’un de ses enfants contre un enfant de chrétien. Elle entrait dans les maisons quand personne ne s’y trouvait et que tout le monde était au champ. S’il se trouvait un bébé dans son berceau, elle enlevait cet enfant blanc et mettait à la place l’un de ses fils, un petit être noir. Quand les gens rentraient du champ, ils voyaient ce petit enfant noir dans le berceau et ils comprenaient tout de suite : -« Ah ! la vieille korrigane est venue ici nous voler notre enfant ! » Alors, pour que la korrigane reprenne son enfant, il fallait mettre tout de suite du lait sur le feu et quand le lait venait à ébullition, le petit gars se mettait à parler : -« Que fais-tu là ? » -« Ah ! Tu sais parler maintenant ! « lui répondait-on. Il fallait alors prendre un bâton et battre le petit lutin jusqu’à ce qu’il se mette à hurler, à hurler aussi fort qu’il le pouvait ! Alors, on entendait sa mère crier, peu importe où elle se trouvait, et elle revenait avec le petit enfant de la ferme, celui qu’elle avait volé. Elle reprenait le sien et ensuite ,elle s’en allait… |
Traduction par Daniel Giraudon (2) d’une légende collectée par Jules Gros (3) – Adaptation YK – Miz Kerzu 2019 (Décembre 2019)
- (1) Cette légende, collectée par Jules Gros, était bien connue autrefois dans toute la Bretagne. Outre la menace pour les enfants, c’était une façon de dire aux parents qu’il ne fallait jamais laisser un bambin seul à la maison. La grand-mère de Jules Gros lui racontait aussi cette histoire pour qu’il ait peur des lutins car il y avait sur la côte à Trédrez, près de Beg ar Forn, dans les rochers, une mare très profonde toujours remplie d’eau de mer et donc très dangereuse. Près de celle-ci se trouvait une grotte qu’on appelait « Toull ar Gornandoned », c‘est à dire la grotte des lutins, kornandon étant un autre nom pour désigner un korrigan ou un lutin. Il ne fallait donc pas s’approcher de cet endroit maléfique.
(2). Daniel Giraudon est né à Binic. Il est professeur émérite de breton à l’Université de Bretagne Occidentale, chercheur au CRBC (Centre de Recherche Bretonne et Celtique) et l’auteur de nombreux ouvrages. Chercheur de terrain, il parcourt depuis une quarantaine d’années les campagnes de Basse et Haute Bretagne pour recueillir auprès des anciens contes, légendes, chansons, etc…qui, sans ce travail, seraient voués à l’oubli.
(3) Celui qui s’intéresse à la langue bretonne, ne peut ignorer l’œuvre magistrale de Jules Gros « Le Trésor du breton parlé ».
Jules Gros est né à Paris en 1890, mais c’est à Trédrez, en Trégor près de Lannion, qu’il a été élevé en breton par sa grand-mère Michela an Alan (1833-1921). Il commence à travailler dès l’âge de 15 ans, tout en poursuivant des études de langues celtiques en parallèle de ses études d’anglais et d’espagnol, Au cours de plusieurs voyages en Irlande, au Pays de Galles, il apprend de nouvelles langues : l’irlandais, le gallois et commence à rédiger son « carnet polyglotte », en établissant une série de tableaux comparatifs des expressions populaires. Dès 1911, fantassin à Belfort, il consigne dans des carnets, au gré de permissions, les termes et les expressions locales trégoroises, conservés par la tradition orale. C’est l’ébauche de son ouvrage monumental, Le Trésor du breton parlé.
Jules Gros est décédé, à Trédrez, en 1992 à l’âge de 102 ans!