Histoire de Bretagne : la découverte ou l’ignorance (suite de l’épisode 4)

Encore quelques péripéties que le toujours mystérieux YK, désormais élevé au rang de ” Maître es Histoire ” de la Kevrenn , va nous conter et il en sera fini d’une Bretagne maître de son destin.

Episode 5 : Vers la catastrophe annoncée…

IX – 2 Le sursaut :

La Bretagne vient de traverser une période mouvementée : la chute démographique est importante entre 1390 et 1450 (la population passe de 1,2 million d’habitants vers 1390 à 800 000 en 1450). Elle est due aux guerres, aux épidémies (la peste), aux disettes, aux mauvaises récoltes… Mais bientôt, la Bretagne va retrouver sa vigueur démographique et économique d’antan.

L’agriculture est maintenant en plein essor.  Les défrichements ont cessé au début du XIVème siècle et de nouvelles cultures apparaissent (lin, chanvre) entraînant le développement d’un artisanat spécifique (filage, tissage), qui va contribuer à la richesse du pays, principalement sur la frange littorale. Mais la vie des paysans reste toujours très précaire, surtout dans le centre de la Bretagne (tout comme en France d’ailleurs !).

rouissoir (chanvre . lin)
rouissoir ( chanvre . lin )

Les villes sont encore peu peuplées (7 % de la population), mais nombreuses et de plus en plus dynamiques. L’économie productive et commerciale se développe : exportations de blé, de viande, de vin, de toiles, d’ardoises… Les flottes de pêche et de commerce se diversifient. La marine de guerre est également bien supérieure en nombre de navires à la marine française, qui elle est très en deçà !

La vie culturelle (qui ne concerne malheureusement et uniquement que les élites) se développe et se diversifie : création d’écoles, de l’université de Nantes en 1460, développement de l’imprimerie, parutions littéraires (les « Grandes chroniques de Bretaigne »).

Enclos paroissial de Guimiliau

L’architecture est en plein essor. Les châteaux, les manoirs, les édifice religieux : églises, cathédrales, enclos paroissiaux, surgissent de terre et témoignent de la richesse croissante du pays.

L’Église est aussi très puissante et contribue fortement, avec la noblesse, à l’organisation d’une société très hiérarchisée. L’Église est désormais de plus en plus « dans le giron de Rome » et a perdu sa spécificité « celtique » dont l’esprit était plus en accord avec celui du peuple breton. L’Eglise est néanmoins un facteur de stabilité, mais elle est aussi un facteur de domination, voire d’oppression, et donc un frein à l’évolution économique et sociale du pays. Mais une nouvelle classe apparaît : celle des bourgeois et des commerçants, dont le rôle bénéfique ira en s’accroissant.

La Bretagne n’est donc pas, à cette époque, ce pays pauvre, arriéré et « féodal », maintes fois décrit dans les manuels officiels de l’Histoire de France (comme si la France n’avait pas, elle aussi, connu la féodalité : une féodalité d’ailleurs bien plus pesante qu’en Bretagne !).

La Bretagne est au contraire un pays bien administré, doté d’un véritable Etat, avec un grand potentiel de développement : c’est une proie toute désignée… pour un prédateur à l’affût ! (Suivez mon regard ….).

  X – La fin de l’indépendance :

Trois souverains vont succéder à Jean V à la tête d’un pays qu’ils gouverneront pendant une période de relative stabilité :

– François Ier le Bien-Aimé (Frañsez an Hegared : 1442 – 1450),

– Pierre II le Simple (Pêr ar Simpl :  1450 – 1457),

 Arthur III le Justicier (Arzhur ar Reizhour : 1457 -1458).

X – 1 L’universelle « aragne » entre maintenant en scène :

Louis XI

En 1461, Louis XI accède au trône de France. Il est fourbe, manipulateur, ambitieux et rusé comme un renard et il lorgne, avec son nez de fouine, sur la Bretagne. Il va d’abord attaquer l’indépendance bretonne sur le plan juridique, en contestant tout ce qui relève, selon lui, à tort, de ses nombreux privilèges.

Louis XI meurt fort heureusement en 1483 et la régence va être assurée par sa fille, Anne de Beaujeu. Mais celle-ci a hérité de l’esprit tordu et sournois de son père !

X – 2 Un duc désemparé et hésitant :

En face, le duc de Bretagne, François II (Frañsez II : 1458 1488) est vieux et fatigué.  Il est pris maintenant entre deux influences rivales qui s’opposent dans son duché :

– d’un côté, le parti pro-français de Guillaume Chauvin, chancelier de Bretagne, qui préconise l’alliance avec la France, soutenu par le haut-clergé et certains grands seigneurs corrompus et sensibles aux pots-de-vin venant de Paris,

– de l’autre côté, le parti breton, soutenu essentiellement par la bourgeoisie commerçante, avec Pierre Landais à sa tête, trésorier de Bretagne. Celui-ci pousse le duc à une entente avec la Bourgogne de Charles Le Téméraire, menacée comme la Bretagne, et à une alliance avec les Anglais capables d’assurer la protection militaire du pays…

Pierre Landais a la confiance du duc et fait emprisonner son rival, Guillaume Chauvin. Mais Pierre Landais est bientôt accusé par certains seigneurs bretons de s’être malhonnêtement enrichi. Il est à son tour arrêté, jugé, condamné à mort et exécuté. François II prend alors conscience, tardivement, des conséquences terribles que ce drame va avoir pour le pays.

Il réunit les Etats de Bretagne en 1486 et fait reconnaître ses deux filles, Anne et Isabeau, comme héritières du duché.

Mais, François II a, entre-temps, accueilli à sa cour des seigneurs français en rébellion contre l’autorité d’Anne de Beaujeu. (aïe ! aïe !). Celle-ci saisit cette occasion pour intervenir en Bretagne avec… l’accord de certains grands seigneurs bretons. Les troupes françaises envahissent le pays, s’emparant d’Ancenis, de Redon, de Ploërmel et de Vannes et encerclent Nantes, où le duc se trouve bloqué.

X – 3 Vers la catastrophe :

L’affrontement militaire entre la Bretagne et la France est désormais inévitable. Un combat décisif s’engage à Saint-Aubin-du-Cormier, au nord-est de Rennes, le 28 juillet 1488.

Bataille de St Aubin du Cormier 28 juillet 1488

L’armée bretonne est composée de 7 000 Bretons, 300 Anglais, 800 Allemands. 3 500 Gascons, Navarrais et Espagnols Elle est disparate et peu disciplinée.  En face, l’armée française est plus nombreuse et mieux équipée, avec une excellente artillerie. Elle est disciplinée et organisée sous un commandement unique. L’armée bretonne est battue. En quelques heures. 6 000 hommes périront pour défendre les destinées d’une Bretagne indépendante. Voilà un jour funeste pour notre pays !

Cette défaite aurait pu être de faible incidence quant au destin du pays. Les troupes françaises avaient-elles en effet la capacité d’envahir toute la Bretagne ? On peut en douter… Elles tentèrent en effet de prendre d’assaut Dinan et Saint-Malo et assiégèrent Rennes, en vain…

X – 4 L’abdication :

Mais le duc François II est faible et diminué. Il est, de plus, influencé par son entourage qui est pro-français. Il finit par demander la paix et accepte de faire allégeance.

Château du Verger (Seiches-sur-le-Loir)

Un traité est signé, le « cruel » traité du Verger, le 10 août 1488 (on n’a pas perdu de temps !), par lequel François II promet de ne pas marier ses filles sans l’accord du roi de France. François II meurt de chagrin, le 9 septembre de la même année.

X – 5 Tout repose désormais sur les épaules d’une frêle jeune fille qui tente de résister :

Il s’agit d’Anne, la fille aînée de François II. En 1488, elle n’a que 11 ans et se trouve malheureusement entourée de conseillers français. Elle a aussi devant elle l’exemple affligeant de seigneurs bretons qui, pour le prix de leur ralliement à la France, ont reçu argent et honneurs…

Anne est trop jeune pour faire face aux terribles évènements auxquels elle va être confrontée. Anne est une jolie jeune fille, mais elle est atteinte d’une légère claudication, ce qui ne lui enlève en rien sa prestance naturelle…

Se pose maintenant la question de son mariage… Elle va tenter de braver les conditions qui lui sont imposées par le traité du Verger, en déclarant vouloir se marier avec Maximilien d’Autriche. Le mariage eut même bien lieu, par procuration, sans la présence donc de l’intéressé. Fin d’un épisode rocambolesque…

X – 6   Le piège se referme :

Anne et Charle VIII

Anne est finalement contrainte de se marier avec Charles VIII, le fils de Louis XI. C’est un mariage de raison. Charles est assez laid et mal bâti. Quatre enfants naîtront de cette union peu heureuse, qui mourront tous en bas âge. Mais, voici que Charles VIII se fracasse le front contre un linteau de porte basse, au château d’Amboise, le 7 avril 1498, à l’âge de 28 ans. Il n’a pas d’héritier. Il meurt peu de temps après et les circonstances de l’accident sont toujours aujourd’hui sujettes à de nombreuses interrogations…

Anne redevient alors duchesse de Bretagne (Anna Vreizh : 1488 – 1514). Elle profite de cette nouvelle liberté pour aller au-devant de ses sujets et entame un long voyage pour visiter son duché. Elle est partout reçue avec honneurs et une immense ferveur !

Précisons que les conditions fixées en 1488 par le traité du Verger avait prévu que, si Anne mourait la première, tous ses droits iraient au roi et à ses enfants, mais que et si le roi décédait d’abord, sans enfant, la reine reprendrait en Bretagne ses droits de souveraine et y vivrait dans le veuvage, à moins d’épouser le nouveau roi.

Louis XII et Anne de Bretagne

C’est ce qui va se produire. Anne de Bretagne se marie avec l’homme qu’elle aimait depuis longtemps, en secretLouis d’Orléans, cousin de Charles VIII, qui régnera sous le nom de Louis XII. Louis a obtenu en effet du pape l’annulation, pour « nonconsommation » (!!!) du mariage que Louis XI lui avait imposé, 18 ans plus tôt, avec sa fille, Jeanne de France (qu’il savait infertile), et cela dans le but de tarir la descendance des Orléans (vous voyez le personnage, mais c’est loupé! ). La pauvre Jeanne se retirera dans un couvent…

X – 7 Le monde bascule :

On va bientôt entrer dans le XVIème siècle.

Christophe Colomb, sans le savoir, fait la découverte d’un nouveau monde en 1492, qui aura pour nom l’Amérique. On raconte que des marins de l’île de Bréhat avaient déjà atteint ces parages bien avant, comme d’ailleurs les Vikings, les Irlandais (voyage mythique de Brendan) et les Basques. Ce serait Coatanlem, originaire de l’île de Bréhat, qui aurait rencontré Colomb et qui lui aurait indiqué la route à suivre.

Le Monde bascule maintenant dans une nouvelle ère. Le Moyen-Age va céder la place à la Renaissance.

Louis d’Orléans, contrairement à son cousin Charles VIII, est plutôt bel homme et a de l’allure. Il épouse donc Anne en janvier 1499 et cette fois-ci, Anne va poser ses conditions quant au maintien de certains privilèges et droits, usages et coutumes de la Bretagne, que le roi s’engagera à respecter.

C’est aussi, au-delà d’un mariage de raison, un véritable mariage d’amour entre Anne et Louis (le seul peut-être de la royauté française !).  Ils auront deux filles : Claude et Renée, mais, hélas, aucun héritier mâle…

Claude se verra contrainte de se fiancer en mai 1506 avec François d’Angoulême, le futur François Ier qu’Anne ne voulait pas comme gendre (Claude n’a que 6 ans et François, 4 de plus!). Anne mourra le 9 janvier 1514, à l’âge de 37 ans. Le mariage entre Claude et François Ier aura lieu en mai de la même année.

Vannes les remparts

X – 8 C’en est fini de la Bretagne indépendante :

En 1532, les Etats de Bretagne réunis à Vannes « sollicitent », après de vives discussions, le rattachement de la Bretagne au royaume de France.En fait, il s’agit d’une véritable annexion ! Le duché cesse alors d’exister, devenant une simple province française et l’un des plus beaux fleurons de la couronne de France.

Remarque personnelle :

Le Franc a, non sans mal, fini par gagner la partie !  Mais, ce que ce Germain, abreuvé de culture romaine, vient d’opérer en Bretagne, il l’a déjà pratiqué en absorbant l’Occitanie et continuera ainsi à le faire dans les siècles à venir, en agrandissant sans cesse son territoire, au prix de la ruse et par la force des armes. C’est sans doute cela le secret de la grandeur d’une Nation !

Mais revenons aux promesses faites par Louis XII à Anne. Elles seront tenues et la Bretagne conservera longtemps « ses franchises et ses droits » qui en feront une province à part du royaume de France.

Malheureusement, les futurs rois de France ne tiendront pas cet engagement et feront tout en leur pouvoir pour mépriser et « abaisser » progressivement la Bretagne, en l’assujettissant et en l’appauvrissant (Louis XIV a fait très fort en la matière !).

La Révolution française portera le coup de grâce, en niant la spécificité et l’identité de la Bretagne (au nom des Droits de l’Homme bien sûr…). Quand on pense que c’est en Bretagne que se sont développées les premières idées révolutionnaires avec la création du « Club breton » (le saviez-vous ?) qui s’appellera plus tard le … Club des Jacobins, aux idées complètement dévoyées (un comble !).

Napoléon s’emploiera aussi par la suite à casser l’économie bretonne à un niveau jamais atteint !  La IIIème République achèvera l’oeuvre de « destruction » et d’avilissement de la Bretagne, en interdisant notamment sa langue et toute référence à son glorieux passé.

Un sursaut économique, identitaire et culturel se produira bien dans la seconde moitié du XXème siècle, mais on peut raisonnablement affirmer aujourd’hui que le pronostic vital de la Bretagne est engagé et que la langue bretonne est vouée à disparaître à brève échéance, malgré les efforts d’une minorité de nos compatriotes qui essaient encore de la sauver et faute aussi d’un statut officiel qui la reconnaîtrait pleinement et lui donnerait des droits (comme c’est le cas au Pays de Galles pour le gallois !).

« Hep brezhoneg, Breizh ebet ! Sans langue bretonne, pas de Bretagne ! » chantait Alan Stivell…

Clap de fin ! Echu an abadenn ! Ce survol historique vous a-t-il plu ? A vous maintenant d’aller plus loin encore dans la découverte de la passionnante Histoire de la Bretagne au travers d’Internet et des nombreux ouvrages qui existent sur le sujet !

Kenavo deoc’h !

YK  – miz Eost  2025 – août  2025

Sources :

– Histoire de Bretagne – Joseph Chardonnet (Ed. Nouvelles éditions latines)

– Histoire de  Bretagne – Jean-Pierre Le Mat (Ed. Yorann-embanner)

– Bretagne : Une histoire – Louis Elégoët (Ed. CRDP de Bretagne)

– Istor Breizh – Louis Elégoët (Ed. TES)

– Histoire de la Bretagne et des pays celtiques (Ed. Skol Vreiz)

– Histoire secrète de la Bretagne – Jean Markale (Ed. Albin Michel)

–  La femme celte – Jean Markale ( Ed. Albin Michel)

–  Histoire de Bretagne – Auguste Dupouy ( Ed. Boivin et Cie)

– Histoire de Bretagne – Yann Brekilien (Ed. France Empire)

Et l’indispensable internet notamment pour tout ce qui est illustrations

En résumé : 

En français :

– Louis XI est couronné roi de France en 1461. Intervention, après sa mort, de sa fille, Anne de Beaujeu, la future régente.

– François II est maintenant duc de Bretagne. C’est un souverain vieillissant, faible et hésitant, pris entre les partis pro-français et pro-breton.

– Corruption par la France de nombreux seigneurs bretons.

– Les troupes françaises attaquent la Bretagne, sous prétexte d’un accord signé entre François II et l’Angleterre.

– Défaite de l’armée bretonne à Saint-Aubin-du-Cormier (1488).

– François II se résigne à signer, la même année, le « cruel » traité du Verger qui fixe les conditions de la reddition.

– Anne de Bretagne, fille de François II, est couronnée duchesse. Mais elle est bientôt contrainte de se marier avec les rois de France Charles VIII, puis avec Louis XII.

– Claude, la fille d’Anne de Bretagne et de Louis XII, est contrainte de se marier avec François Ier, roi de France.

– En 1532, c’est l’annexion effective de la Bretagne par la France.

– Fin de l’indépendance.

E brezhoneg :

– Loeiz XI a zo kurunet roue Bro-C’hall e 1461. He merc’h, Anne de Beaujeu, a c’hoarvez, goude marv he zad, da vezañ ar rezrouanez.

 Frañsez II a zo dug Breizh bremañ. Ur rener kozh eo deuet da vezañ. Dinerzh  hag etre daou vennozh eo, paket etre daou strollad, an hini diouzh tu ar C’hallaoued hag an hini all diouzh tu ar Vretoned.

– Meur a aotrou e Breizh a zo breinet ha laouret gant Bro-C’hall,.

– Taget e vez Breizh gand strolladoù soudarded Bro-C’hall, ‘blamour d’un emglev sinet etre Frañsez II ha Bro-Saoz.

– Arme ar vro a zo trec’het e Sant-Albin-an-Hiliber (1488).

– Frañsez II a sin dre forzh, ar bloaz-se, un emglev « digalon », hini ar Verger a red divizoù an daskor.

– Anna Vreizh, merc’h Frañsez II, a zo kurunet dugez. Met, ret eo dezhi, dimeziñ hepdale gant rouaned Bro-C’hall : Charlez VIII ha Loeiz XII goude-se.

– Klaodia, merc’h Anna Vreizh ha Loeiz XII a zo ret dezhi dimeziñ gant Frañsez Kentañ, roue Bro-C’hall.

– Breizh a zo  staget groñs ouzh Bro-C’hall e 1532.

– Fin an dizalc’h.