Les capsules à Paulo …(bilingue)

De nous tous, c’est Paulo qui en avait le plus. Nous l’entendions arriver de loin lorsqu’il dévalait la grand-rue pour nous rejoindre sur les quais du bassin. Son sac d’écolier, plein à craquer, le bruit de sa course faisait penser à une bande de lépreux en déroute chacun agitant sa crécelle. Combien d’heures passées à surveiller les terrasses, à soudoyer les serveurs nous aurait-il fallu pour amasser un tel trésor, nous, dont les parents ne buvaient que le cidre acheté au litre chez Yann Pen Du, l’épicier qui détenait la clé… de l’énorme barrique en perce pour au moins un trimestre ? (1)
Quoi de plus normal puisque les parents de Paulo, respectables commerçants, tenaient le bistro-charcuterie (2) « le Café des pêcheurs »,le bien nommé, à l’angle de la grand-place, à 50 mètres (3) de l’abbatiale Saint Sauveur.
Notre Paulo vidait facilement son sac, nous laissant souvent compléter nos « armées ». En bon fils de négociant il pratiquait l’échange et le troc avec grand plaisir et hélas pour nous une grande maîtrise.

Oui, vous l’avez compris, je vous parle ici de misérables capsules de bouteilles de bières (4) avec lesquelles nous constituions de grandes armées ou de petites équipes selon les personnages qu’elles étaient censées représenter. Les capsules « Perrier », bien vertes, étaient parfaites pour incarner les compagnons de Robin des bois, les « Kronenbourgs » bleues faisaient une excellente infanterie de marine, les blanches frappées d’un écusson encadré de deux lions de redoutables chevaliers, les « Pelfords 43 » rouges pouvaient figurer des troupes de sa Gracieuse Majesté (5) accompagnées inévitablement de quelques « Pélican » noires et rouges en guise de Bagpipers … et tant d’autres encore dont je ne me souviens plus.
Mais invariablement vers le 14 juillet nos capsules devenaient cyclistes et attaquaient le tour de France, c’est dire les routes sinueuses que nous traçions dans la dernière montagne de sable qu’an Durzhunell (la tourterelle), une des nombreuses péniches Freycinet (6), venait de décharger.

Des heures durant nous revivions à quatre pattes, les genoux bientôt rappés (7), tantôt une grande bataille (les campagnes napoléoniennes, les guerres coloniales y tenaient grande place !) tantôt une épopée telle que la conquête de l’ouest avec de féroces indiens ou une expédition lointaine en butte aux attaques d’indigènes hostiles et naturellement anthropophages.
Bien sûr de temps en temps des conflits survenaient entre les joueurs eux-mêmes ou bien avec une bande rivale venue perturber le cours du jeu. S’en suivaient de furieuses bagarres où pleuvaient coups de poings et coups de pieds sans que jamais il ne vienne à l’idée d’un participant de sortir l’indispensable canif ou couteau de poche que nous possédions pourtant tous.
Les lectures, notamment celle du Journal des Voyages (8) ou de livres d’auteurs tels que Walter Scott, Conan Doyle,Jules Verne … ou l’actualité fournissaient le thème du jour âprement débattu en début d’une partie haletante qui pouvait durer plusieurs jours de suite.
Les règles étaient simples et incontestées : Capsule retournée, figurant éliminé. Pour les déplacements ou les attaques : fantassin, une pichenette, cavalier, deux pichenettes. Sans oublier l’artillerie pour laquelle une planchette de trente centimètres sur laquelle on tendait un élastique faisait l’affaire. Et interdiction de « plomber » ses capsules avec l’argile ou la vase molle trouvée dans le tas de sable pour leur donner plus de stabilité, gare au tricheur !!
Ainsi parlait mon père d’un de ces jeux d’enfants des bords de la Vilaine. Mais ce jeu je pourrais vous en parler tout aussi bien que lui puisque nous y avons joué tout autant, dans une version dite « d’intérieur » les temps n’étant plus à laisser les enfants jouer dans les rues des grandes villes.
Comme quoi notre génération de « boomers », qui selon les jeunes d’aujourd’hui n’aurait connu que la croissance et l’abondance savait aussi et peut-être surtout, vivre de peu, s’amuser d’un rien et partager un imaginaire chaque jour renouvelé, loin des consoles et des écrans.
HG-YK – AVRIL 2025
Sources :
Notes :
- (1) Le cidre, vendu au litre, était tiré d’une barrique dont le contenu, inévitablement, finissait par tourner vinaigre (ou huile !) mais pas question de mettre en perce un nouveau tonneau tant qu’il restait un peu de cidre. Les clients demeurant, quoiqu’il arrive, fidèles à leur consommation journalière, partageaient équitablement jusqu’à dernière goutte, se pliant à la dure loi de la nature.
- (2) La multitude d’établissements de boissons rendant leur exploitation pas forcément rentable, en Bretagne (mais peut-être ailleurs aussi), ce commerce était fréquemment associé à un autre. Association que les règles sanitaires ont rendu peu à peu difficile.
- (3) En Bretagne, « curieusement » la règle nationale qui interdit l’ouverture d’un établissement de boisson à moins de 200 m d’un édifice religieux fait l’objet d’une dérogation
- (4) La capsule a été inventée en 1892 par William Painter le fondateur de la société Crown Cork qui est encore aujourd’hui l’un des plus gros fabriquant d’emballages métalliques. Dotées de 24 dents à l’origine les capsules de bière n’en comptent plus que 21 depuis les années 30. Conservant toutefois leur étanchéité et surtout leur diversité elles font toujours la joie des cervacapsulophiles.
- (5) Comme il était de tradition et de bon goût que les « English » perdent toujours, qu’ils soient « habits rouges », « homards », « rosbeefs » ou « tommies », ce rôle, peu enviable, devait bien sûr être tiré au sort.
- (6) Charles de Freycinet (1838-1923), originaire de Foix, polytechnicien et ingénieur des mines, sera ministre des Travaux Publics de 1877 à 1879. Il est à l’origine d’un programme, dit plan Freycinet, visant à normaliser et améliorer le réseau fluvial français. La norme Freycinet portait la dimension des sas d’écluse à 39 m de long pour 5,20 m de large, afin qu’elles soient franchissables par des péniches de 300 t ou 350 t avec 1,80 à 2,20 m de tirant d’eau. Le gabarit Freycinet est aujourd’hui très loin du gabarit européen dit « grand Rhénan » qui permet la circulation des péniches de 2 500 t.
- (7) Nos parents préférant nous voir jouer en short pour préserver le pantalon réservé aux grandes occasions nous développions fréquemment des furoncles bien douloureux. Nos mères nous conduisaient alors « aux Urgences » c’est-à-dire à la cuisine où la pustule était percée à l’aide d’une aiguille rougie au feu et le pus extrait par une habile, quoique vigoureuse, pression sans égard pour nos protestations et souvent nos hurlements.
- (8) Le Journal des voyages était un hebdomadaire crée à Paris en 1877, disparu en 1949. On pouvait y trouver tout à la fois des récits de véritables voyages ou d’expéditions d’exploration et des fictions rocambolesques. Les récits qui pouvaient se poursuivre plusieurs semaines durant étaient agrémentés de magnifiques illustrations très suggestives
Kapsulennoù Paolo
Etre holl ac’hanomp e oa Paolo an hini en doa ar muiañ anezhe. Eus pell e veze klevet o erruout, pa ’z ae war-draoñ an hent bras evit kejañ en-dro ganeomp war kaeoù al lenn-borzh. E sac’h-skol leun-chouk. Trouz e redadeg a lakae deomp da soñjal ouzh ur vandennad lovred dispar-foeltret, pep hini anezhe o hejañ e strakerez. Evit dastum un hevelep teñzor, na kement a eurvezhioù e vefent bet deomp-ni, o tremen war evezh dirak al leurennoù, o laouriñ at servijerien, ni a oa hor c’herent na eve nemet chistr, dre litrad, en ispisiri (hini an aotroù Penn Du, a veze gantañ alc’hwez ar pezh varrikenn lakaet war doull evit un drimiziad) !
Petra lavar, peogwir kerent Paolo, kenwerzherien doujadus anezhe, a zalc’he un tavarn hag ur gigherezh-voc’h « Le Café des pêcheurs », e korn ar blasenn, 50 metrad pelloc’h eus Abati Hor Salver ?
Hor Paolo a ziskarge e sac’h aes a-walc’h hag a leze ac’hanomp da beurglokaat hon armeoù. Evel gwir mab ur c’henwerzher, e oa eñ kustum da eskemm ha da drokañ pep tra gant bras a blijadur hag evidon-ni gant ur vestroniezh dispar.
Ya, komprenet o peus : kaoz a zo amañ eus kapsulennoù dister a oa war ar voutailhoù bier, hag a oa graet gante luioù bras ganeomp pe skipailhoù bihan, hervez an dud a oa sañset bet skeudennet gante. Kapsulennoù « Perrier », gwer-tre, a oa peurvat evit enkorfañ kompagnuned « Robin de Bois », ar « C’honenbourg » glas a oa dreist evit skeudenniñ an infantiri war-vor, ar re gwenn gant ur skoed frammet gant daou leon a oa marc’hegourien spouronus, ar « Pelforth » ruz a c’hellfent skeudenniñ bagadoù « Sa Gracieuse Majesté », ambrouget evel-just gant meur a « Pélican » du e-giz ar « bag-pipers »…ha meur ar re all, n’em eus ket soñj ken deus oute.
Met bepred, war dro ar 14vet a viz Gouere e teuent hor gapsulennoù da vezañ mac’houarnourien o kregiñ gant tro Bro-C’hall, da lavar an heñtoù kamm-digamm a oa treset ganeomp war ar bernioù traezh a seblante ar menezioù (an traezh-se a oa bet diskarget eus « An Durzhunell », unan eus ar gobiri niverus Freycinet).
Eurvezhioù-pad, e bevemp atav hag adarre, war hor c’hrabannoù, hon daoulin rasklet, gwech gant un emgann meur (ergerzh-brezelioù Napoleon hag ar brezelioù trevadenel a oa darvoudoù a-bouez evidon!), gwech all gant ur meurzanevell evel gounid ar C’hornôg, gant Indianed gouez pe ur gazididezh pell a-enep tagadennoù henvroidi enebet, ar re-mañ gouest da zebriñ tud evel-just.
Gwech-ha-gwech e c’hoarveze diemglevioù etre ar c’hoarierien o-unan pe ur vandennad kenoazet a zeue da zireizhañ dibun ar jeu. Ha setu kannoù fuloret a oa da heul goude-se, gant taolioù dorn ha taolioù treid, a-bil ma c’helle. Met james ne teue deomp ar mennoz da implij ur gannived pe ur gontell-godell bennak, a oa atav ganeomp koulskoude.
Al lennadegoù, an hini dreist-holl gant « Kazetenn ar veajoù », pe re all evel hini Walter Scott, Conan Doyle, Jules Verne… pe keloù an deiz a roe deomp danvez hor c’hoari. Arguzet strizh e veze etrezomp a-raok kregiñ gant ur c’hoariadenn entanet hag a c’hellfe padout devezhioù.
Ar reolennoù a oa simpl ha diarvar : ur gapsulenn troc’holiaet, setu an adc’hoarier kaset kuit. Evit fiñval pe tagañ : ar soudarded war-droad, un taol bihan ; ar varc’hegerien, daou daol bihan. Hep ankouaat ar c’hanolierezh gant ur blankenn vihan 30 santimetrad a ledander, hag a vefe warni ur stirenn, ha mat pell’zo. Hag e oa difennet lakaat ur pouezh bennak war ar gapsulennoù gant pri pe lec’hid gwak kavet e-barzh ar bern traezh, evit rein dezhe muioc’h a stabilited ; diwall d’ar fliperien !
Evel-se e komze va zad diwar-benn unan eus ar c’hoarioù bugaleaj war vord ar Gwilen. Met eus ar seurt c’hoarioù-se e vefen me gouest da lavar diwarne, peogwir on bet ni, o c’hoari kement-all, en ur c’hiz all : « en diabarzh ». Ne oa ket ken ar mare da lezel ar vugale o c’hoari er maezh, er straedoù ar c’hêrioù bras.
Ar yaouankiz a-vremañ a lavar ne deus gouezet hor rummad a « boomer » nemet ar c’hresk hag ar binvidigezh. Koulskoude e ouiemp bevañ ha c’hoari gant nebeut a dra hag eskemm diwar faltazi, bemdeiz renevezet, ha pell eus ar c’hoarien hag ar skrammoù !
NB : Nous invitons le linguiste curieux à comparer cette traduction avec celle que fournit le traducteur automatique du Portail numérique de la langue bretonne https://niverel.brezhoneg.bzh/fr/troer/ qui n’est pas si mal même si. par exemple, la traduction des campagnes napoléoniennes en “maezioù Napoléon” donne à ces campagnes un petit air bucolique qu’elles n’avaient certainement pas. (A moins que d’ici votre consultation l’IA ait encore fait des progrès !)