Histoire de Bretagne : la découverte ou l’ignorance (suite de l’épisode 1)

            Dans le chapitre précédent ( Histoire de Bretagne : de l’origine aux raids vikings) nous avions quitté nos compatriotes faisant face à des raids vikings de plus en plus fréquents et dévastateurs. Allaient-ils pouvoir résister encore longtemps ?

Dans ce nouvel article, l’auteur nous invite à le suivre jusqu’au perfide assassinat du duc Arthur Ier par son oncle Jean Sans Terre, nouveau tournant important dans l’histoire de la Bretagne. ( NB : le résumé, présenté à la fin de l’article, est lui en breton … et en français).

Episode 2 : Dune Nation souveraine à l’emprise anglaise.

      IV – 2   La résistance en Bretagne s’organise :

       Le 24 juin 843, jour de la Saint Jean-Baptiste est une date funeste pour la Bretagne : une flotte viking remonte la Loire et s’empare de Nantes par surprise. La cité nantaise est pillée, l’évêque est tué sur l’autel, en sa cathédrale. Les fidèles et tous les habitants sont massacrés.

      Alors, Alain Ier, roi de Bretagne, dit Alain Le Grand (Alan Veur : 890-907), décide de mettre fin à la terreur viking. Il va réussir à unifier les Bretons et battra les Vikings à Questembert en 888 .

      Malheureusement, Alain Ier meurt en 907 et la Bretagne va retomber dans l’anarchie, du fait des dissensions qui divisent le pays.

    Les Vikings en profitent pour poursuivre leur œuvre de pillage, de chaos !

IV – 3 Les Francs, magnanimes (ou plutôt contraints…), offrent la Normandie aux Vikings de Rollon !

     Mais si la Bretagne a eu à subir la terreur viking, la Francie a aussi eu à subir durement les attaques incessantes de ces forbans. Ils iront même jusqu’à Paris…

    Pourtant, après des décennies de dévastation et de résistance face à l’envahisseur nordique, le roi des Francs Charles Le Simple se résout à conclure un accord, en 911, avec Rollon, le chef des Vikings !

     Par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, il est concédé aux Vikings un vaste et riche territoire qui va prendre le nom de « Normandie » : le pays des « hommes du nord ». Ceux-ci abandonneront leur langue « germanique » d’origine. On trouve cependant aujourd’hui des traces de leur langue, dans la toponymie, comme Honfleur, Barfleur, etc.

   Mais certains Vikings ne se calmeront toujours pas et harcèleront encore, longtemps après, les Bretons, du côté de Dol et du Mont Saint-Michel, lesquels résisteront vaillamment et les repousseront chaque fois !

IV – 4 La Bretagne enfin libérée !

Les Vikings continueront en effet à sévir encore en Bretagne. Ce n’est qu’en 937, à Nantes, puis en 939, à Trans, près de Dol, qu’Alain II  Barbe Torte, dit Le Libérateur (Alan Varvek : 937-952) et petit-fils d’Alain Le Grand, délivrera définitivement la Bretagne de ces bandits : deux autres grandes dates de l’Histoire de Bretagne qu’il faut absolument retenir !

Alain II sera couronné duc de Bretagne. Ce titre de duc qui veut dire le « meneur », le « chef », lui sera glorieusement donné, en place de celui de roi, en honneur de sa vaillance face à l’envahisseur nordique qu’il a vaincu. Ce titre sera désormais celui que porteront les souverains suivants de la Bretagne. Le glorieux et courageux duc de Bretagne, Alain II, mourra en 952.

IV – 5 Les conséquences de l’épreuve viking pour la Bretagne :

    L’épreuve viking aura été terrible pour la Bretagne. Elle aura deux conséquences (ainsi que le rappelle Joseph Chardonnet dans son Histoire de Bretagne) :

– l’une, positive, est que cette épreuve aura conduit à forger l’âme bretonne et à renforcer le sentiment national à travers la résistance d’un peuple qui prend conscience de lui-même. Cette épreuve aura conduit également à affaiblir le pouvoir des Francs (eux-mêmes attaqués par les Vikings…lorsqu’ils ne faisaient pas alliance avec eux). Le pouvoir des Francs constituait en effet à l’époque une menace sérieuse pour la Bretagne.

– l’autre, négative, est que, réfugiées pendant de longues années loin de leur pays, les classes dirigeantes bretonnes, revenues en Bretagne, auront perdu la pratique de leur langue d’origine au profit du parler gallo-romain qu’elles avaient pratiqué dans leurs lieux de refuge.

    Sans l’épreuve viking, le breton serait vraisemblablement resté la langue des classes dirigeantes bretonnes et serait devenu un jour (qui sait ?) langue officielle d’État en Bretagne.

     C’est donc un « miracle » que la langue bretonne ait survécu et soit parvenue jusqu’à nous. C’est grâce à la vitalité exceptionnelle de la société bretonne dans toutes ses composantes :  paysans, pêcheurs, petits artisans et commerçants, bas-clergé, petite noblesse, que notre langue bretonne sera sauvegardée et ce, malgré l’énergie qui va être déployée durant des siècles, et encore aujourd’hui, pour l’éradiquer !

     Mais la langue bretonne régressera peu à peu vers l’ouest, au fil des siècles. La limite de la langue bretonne s’établissait au IVème siècle sur une ligne allant de la baie du Mont-Saint-Michel au nord jusqu’à l’est de Saint-Nazaire au sud. Elle s’est ensuite stabilisée   sur une ligne allant de l’ouest de Saint-Brieuc au nord, jusqu’à l’est de la presqu’île de Rhuys au sud. A l’est de cette ligne, le parler d’oïl (le gallo) a alors remplacé le breton chez le peuple.

Remarque personnelle le gallo est un dialecte d’origine latine, « importé » en Bretagne par l’influence française grandissante. Le gallo a fini par remplacer le breton dans les couches populaires, en même temps que celui-ci régressait vers l’ouest. Doit-on, en ce cas, et au regard des origines celtiques profondes de la Bretagne continentale, considérer véritablement le gallo comme une langue « bretonne » ?

V – Une période de grands changements géopolitiques (1066-1203)

V – 1 La conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant :

     Nous sommes au XIème siècle. L’année 1066 est une date importante : c’est la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, descendant des Normands et devenu duc de Normandie. Il a des prétentions sur le trône d’Angleterre. C’est un drôle de gaillard. Il a, entre-temps, réussi à éliminer par empoisonnement le duc de Bretagne Conan II (Konan II : 1040 – 1066) qui prétendait aussi au trône de Normandie…

    Guillaume le Bâtard (qui n’est pas encore Guillaume Le Conquérant) réunit une grande flotte de navires avec laquelle il franchit en 1066 la Manche, à partir de Saint-Valéry-sur-Somme, dans le but de s’emparer de la couronne d’Angleterre. Le tiers de ses troupes est composé de Bretons. Guillaume affronte Harold à la bataille d’Hastings. Il est victorieux et est bientôt couronné roi d’Angleterre.

V – 2 Des effets inattendus :

    Parmi les seigneurs bretons, il est un certain Raoul de Gaël, seigneur de Brocéliande qui s’est battu vaillamment aux côtés de Guillaume. Celui-ci le récompense en lui offrant le royaume d’East-Anglia. Mais Raoul de Gaël se rebelle contre Guillaume et est renvoyé sur ses terres en Bretagne. Son séjour en Angleterre lui a permis toutefois d’entrer en contact avec tout un imaginaire celtique qui perdure dans la grande île (l’ancienne Bretagne).     Raoul se nourrit de tout ce qu’on appelle « la Matière de Bretagne » : Arthur et les Chevaliers de la Table ronde, Merlin l’Enchanteur, etc.

    De retour sur ses terres, Raoul de Gaël importe ces belles légendes d’outre-Manche sur ses terres de Brocéliande, légendes qui viendront « enchanter » à jamais les terres armoricaines !

    Il faut savoir que c’est cette « Matière de Bretagne », en langue galloise (donc « bretonne »), puis transmise en France par Geoffroy de Montmouth qui est à l’origine du « roman français » !

    Il est par ailleurs à noter que le duc de Bretagne Alain IV Fergent (Alan IV Fergant : 1084 – 1112), marié à une fille de Guillaume Le Conquérant, est le dernier souverain à parler breton…

Sceau Alan IV Fergent

    Il faut savoir aussi que la conquête de Guillaume a eu pour effet d’introduire en Angleterre nombre de termes français (ou de vieux français) dans l’ancien anglais de l’époque, qu’on retrouve dans l’anglais d’aujourd’hui. Comme quoi, le devenir des langues est souvent lié au pouvoir et au rôle des armes ! Cela est si vrai aussi pour le devenir de la langue bretonne. On le verra, malheureusement, par la suite…

       V – 3 L’avènement des Plantagenêts :

Nous sommes maintenant au XIIème siècle.

     La Bretagne va connaître une période encore mouvementée, en prise avec des querelles seigneuriales internes. On est en pleine période féodale. En face de la Bretagne, deux voisins avec beaucoup d’appétit :

  • le roi d’une France naissante dont les territoires sont encore réduits et assez lointains, mais qui ne cache pas son ambition d’accroître son domaine.
  • une dynastie dont la puissance s’accroît chaque jour : les Plantagenêts, issus de l’Anjou ( !!!). Par le jeu d’alliances matrimoniales habiles, ils vont devenir maîtres de la Normandie, du Poitou, du Maine, de l’Aquitaine et même… de l’Angleterre.   Comment faire pour lutter contre ce voisin qui encercle la Bretagne ? Chercher une alliance avec le roi de France ? En attendant. après bien des péripéties, la Bretagne finit par tomber dans leurs griffes.
Blason des Plantagenets

     En 1166 (comme le dit Louis Elégoët dans son livre Bretagne – une histoire), Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre (et second mari d’Aliénor d’Aquitaine) va exiger de Conan IV le Petit (Konan IV ar Bihan : 1148 – 1166), les fiançailles de sa fille Constance(Konstanza : 1166-1196) héritière du duché avec son fils Geoffroy. Henri II gouvernera la Bretagne avec dureté, le temps que Geoffroy accède effectivement au pouvoir.

    Geoffroy est l’un des fils d’Aliénor d’Aquitaine et de son second mari, Henri II, le roi d’Angleterre. Rappelons qu’Aliénor s’était, en premières noces, mariée avec le roi de France Louis VII, duquel elle divorça… (Ah, l’erreur !). Geoffroy est moins connu que Richard Coeur de Lion (son illustre frère aîné et fils préféré d’Aliénor) et que son autre frère, le fourbe et cruel Jean Sans Terre.

V – 4   Geoffroy devient duc de Bretagne :

Sceau du duc Geoffroy II

    Geoffroy, devenu duc de Bretagne, sous le nom de Geoffroy II (Jafrez II : 1181 – 1186), va gouverner le pays avec sagesse, dans un contexte très difficile. Il aura un fils : Arthur qui, à la mort de son père en 1186, sera couronné duc de Bretagne sous le nom d’Arthur Ier (Arzhur Iañ : 1186 – 1203).

    Lorsque Richard Coeur de Lion, devenu roi d’Angleterre, est mortellement blessé en 1199 par un carreau d’arbalète, lors du siège du château de Châlus Chabrol (Haute-Vienne), se pose la question de la succession au trône d’Angleterre. Deux prétendants : Jean Sans Terre et Arthur Ier, duc de Bretagne et… petit-fils du roi d’Angleterre !

V – 5   Le destin tragique d’Arthur Ier :

     Arthur, craignant pour sa vie, s’est mis sous la protection de Philippe-Auguste, protection qui n’en est pas une (Mauvaise pioche !). En effet, le roi de France conseille d’abord à Arthur de réclamer la couronne d’Angleterre, puis fait volte-face et reconnaît Jean Sans Terre comme l’héritier légitime, en échange de terres anglaises qui viennent opportunément agrandir le domaine royal (Ben tiens !) …

Sceau du duc Arthur Ier

    Arthur est fait prisonnier, victime d’une trahison. Il est assassiné en 1203 (il n’a que 19 ans !) par son oncle Jean Sans Terre, puis jeté dans la Seine à Rouen : encore une date, funeste celle-là pour la Bretagne, dont il faut se souvenir…

     La raison d’État a parlé. Aliénor n’a dit mot sur l’assassinat de son petit-fils par l’un de ses propres fils !! Vous verrez maintenant peut-être la « courageuse » Aliénor d’Aquitaine d’un autre autre œil…

     Philippe-Auguste finit par prendre possession de toutes les provinces anglaises sur le continent, faisant croire ainsi aux Bretons qu’il venge la mort d’Arthur. Mais, en réalité, le roi de France a bien exploité le jeune duc.

     La Bretagne pleure son jeune souverain ! Mais elle est enfin débarrassée (pour un temps… ) d’une domination anglaise trop pesante. Va-t-elle pour autant se libérer aussi de l’influence française qui se fait maintenant de plus en plus pressante ?

    La réponse à cette question, déterminante pour l’avenir de cette Bretagne en construction sera à découvrir dans un prochain article, lui aussi … en construction.  

A suivre ….

YK – miz Mae 2025

Sources : Histoire de Bretagne – Joseph Chardonnet

Histoire de Bretagne – Jean-Pierre Le Mat

Bretagne : Une histoire – Istor Breizh – Louis Elégoët

Histoire de la Bretagne et des pays celtiques – Ed. Skol Vreiz

Histoire secrète de la Bretagne – Jean Markaie

La femme celte – Jean Markaie

Histoire de Bretagne – A Dupouy

Et l’indispensable internet notamment pour tout ce qui est illustrations

En résumé : 

En Français :

– En  911, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, les Francs accordent aux Vikings de Rollon un territoire qui deviendra la Normandie.

– D’autres Vikings continuent à sévir du côté de Dol et dans l’estuaire de la Loire.

–  Alain II délivre définitivement la Bretagne des Vikings en 937 et prend le titre de « duc » (le meneur).

– 1066 : Guillaume, duc de Normandie, envahit l’Angleterre et est couronné roi.

– La dynastie  des Plantagenêts s’impose en Bretagne.

– Le duc de Bretagne Conan IV est contraint de fiancer, en 1166, sa fille Constance avec Geoffroy Plantagenêt (fils d’Henri II, roi d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine). Geoffroy devient duc de Bretagne sous le nom de Geoffroy II.

– A la mort, en 1186, de Geoffroy II, son fils Arthur devient duc de Bretagne sous le nom d’Arthur Ier.

– Richard Coeur de Lion, roi d’Angleterre (frère aîné de Geoffroy) meurt en 1199.

– Arthur, qui prétend à la couronne d’Angleterre, est assassiné en 1203 par  son oncle, Jean Sans Terre (l’autre fils d’Aliénor et frère de Geoffroy), lui aussi prétendant à la couronne.

E brezhoneg :

– E 911, gant feur-skrid Saint-Clair-sur-Epte, e vo roet un tiriad d’ar Vikinged Rollon gant  ar Franked, hag a vo anvet an Normandi.
– Vikinged all a zalc’h d’ober ar reuz tro-dro Dol hag aber al Liger.

– Alan II a zieub Breizh da vat diouzh ar Vikinged e  937 hag a gemer lesanv « an dug » (ar rener).

– 1066 : Gwilherm, dug  Bro-Normandi, a aloub Bro-Saoz hag a vez kurunet roue.

– Remziad ar Plantagenêt a red bremañ e Breizh.

– E 1166, e vez dleet Konan IV, dug Breizh,  da zimeziñ e merc’h Konstanza gant Jafrez Plantagenêt (mab Henri II, roue Bro-Saoz hag Alienor Akwiten). Jafrez a zeu neuze da vezañ kurunet dug Breizh, gant an anav Jafrez II.

– Pa varv Jafrez II e 1186, e teu e vab Arzhur da vezañ kurunet dug Breizh diouzh an anv Arzhur Kentañ.

– Richarzh Kalon-Leon, roue Bro-Saoz, (breur kentañ Jafrez) a varv e 1199.

– Arzhur a c’houlenn neuze kurunenn Bro-Saoz . Drouklazhet e vez e 1203 gant e eontr Yann Dizouar, hag a zo eñ o c’houlenn ivez  kurunenn Bro-Saoz.