Matilin an Dall – Mathurin l’aveugle (1789/1859)

        Matilin an Dall, Mathurin l’aveugle, de son vrai nom Matilin Furic, naît le 28 janvier 1789 à Quimperlé, très certainement dans cette maison à pans de bois, qui existe toujours, à l’angle de la rue Gauguin, place St Michel (autrefois place au Soleil). Quelques mois après sa naissance, hélas, le bambin, contracte la petite vérole (1). Il en conservera les terribles marques sur le visage, mais surtout, cette redoutable maladie le rend à jamais aveugle.

        Le petit Matilin a peu connu son père Yves Furic. Celui-ci, peut-être acquis à la cause des chouans, serait mort en août 1794 près de Carnac. Sa mère, petite mercière fort pauvre, l’élève donc seule. Alors que Matilin va tout juste avoir six ans, elle parvient à le faire reconnaître comme « pauvre » par délibération du conseil municipal de Quimperlé. Ce statut lui permet de le confier aux Sœurs de la Sagesse qui gèrent l’hospice (2), situé juste de l’autre côté de la place. Dort il à l’hospice ? Rentre-il le soir chez lui ? Nul ne sait, mais toujours est-il que c’est dans cet hôpital, que, dès l’âge de dix ou douze ans, il commence à apprendre la musique (3). En effet, un des visiteurs réguliers de l’hospice remarque ses dispositions pour la musique. Cette personne, dont on ignore le nom, sans doute elle-même musicien(ne ?) amateur, lui donne quelques notions de solfège et lui apprend les premiers éléments  techniques du violon. Matilin en jouera toute sa vie, mais il sait aussi jouer de la flûte, du basson, de la clarinette, du serpent (4)… et de la bombarde (4). 

         Le 28 novembre 1810, Matilin, âgé alors de 21 ans, épouse Marie Galguen du bourg de Querrien. De cette union naissent deux filles , Marie-Françoise, en 1813, qui décède à quatre mois et Marie-Jacquette, qui naît deux ans plus tard. C’est lors de la déclaration de naissance de cette dernière, que Matilin déclare, sur l’acte d’état civil, la profession de musicien.(5) .

         Marie décède le 15 février 1830, Matilin a 46 ans. Cécité oblige, il se remarie 5 mois plus tard avec Marie-Vincente Kercret, blanchisseuse, âgée de 33 ans. 

        Il sonne excellemment bien, sortant de sa (ou de ses ?) bombarde(s) des sons jamais produits… et justes !. Rapidement, le virtuose Matilin à la bombarde et son compère  Jean Pontré ( originaire de Querrien 1795-1856), dit Jean de La Chapelle, au biniou, forment un couple de sonneurs réputés. Ils sont appréciés et très recherchés pour animer noces, pardons et autre fêtes locales à travers toute la Bretagne. La profusion des demandes leur permet de d’exiger des cachets d’un montant élevé pour l’époque (6). Ils peuvent ainsi vivre pleinement de cette activité de « ménestrier »(7).

        Au-delà de la virtuosité technique, Matilin est aussi capable d’adapter son programme et son jeu à toutes les particularités des lieux où il intervient (8), de donner une couleur bretonne à des airs à la mode et même de composer. Ces compositions s’inspirent beaucoup des « tubes» populaires de l’époque : « Bon voyage Monsieur  Dumollet », « Malbrough s’en va en guerre », « Travadja la moukère »…. (9).

      Mais la renommée de Matilin vient aussi de sa participation à des manifestations officielles locales mais importantes. C’est notamment le cas, le 27 juin 1841, pour l’inauguration de la statue de Théophile Malo Corret de La Tour d’Auvergne à Carhaix (10), œuvre du sculpteur Marochetti.

Ou encore, le 22 juillet 1843, lors de la fête donnée à Brest en l’honneur du prince de Joinville (11), troisième fils de Louis-Philippe,  ou pendant la visite princière du duc de Nemours en août de la même année (12). Enfin, en 1858,  Matilin, alors âgé de 69 ans !, est sollicité pour intervenir plusieurs fois au cours du voyage en Bretagne de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie.(13)

 Entre temps, en 1847, Matilin s’est même rendu à Paris : une véritable expédition ! Avec son compère Jean de La Chapelle, Matilin intervient dans une pièce de théâtre, « La Closerie des Genêts », montée par Amédée Artus d’après une pièce écrite par Frédérique Soulié. A cette occasion, on dit qu’il exécuta aussi marches et danses bretonnes devant le roi Louis-Philippe au palais des Tuileries. 

      La popularité de Matilin bénéficie aussi de deux mouvements qui traversent l’époque : d’une part l’avènement et le développement de la presse régionale qui se fait largement l’écho de toutes les fêtes et manifestations qui ont lieu en Bretagne et d’autre part, le succès de la littérature régionale voir régionaliste. Nombre d’écrivains, hier célèbres et aujourd’hui plutôt méconnus, relatent, au hasard de descriptions ou de récits de voyage, la virtuosité de Matilin.

     La seconde épouse de Matilin est non seulement dépensière, mais s’adonne à la boisson. Le 12 décembre 1858, probablement ivre, elle tombe dans le foyer de sa chambre et meurt asphyxiée. Agé, seul, Matilin retourne alors à l’hospice où il a passé sa jeunesse. Il y meurt le 14 septembre 1859,à l’âge de 70 ans. L’aumônier de l’hôpital, son ami l’abbé Herry, lui administre les derniers sacrements (14) .

    Si Matilin est mort seul, de nombreux articles de la presse bretonne font état de son décès, ce qui est la preuve de sa notoriété. 

Les aventures de Matilin an Dall

Une souscription à l’initiative du vicomte Hersart de la Villemarqué permet la réalisation d’une stèle. Matilin est aussi le sujet de beaucoup de chansons ou d’air de danses, et même le héros d’une bande dessinée parue en 1941 dans le journal «O lo lé » (16).

    Aujourd’hui le trophée « Matilin an Dall » (15), lors du festival de Lorient, récompense des sonneurs d’exception.

    Une association, Les Amis de Matilin an Dall, créée en 2003, entretient toujours son souvenir.

HG juillet 2020

Sources : « Matilin an Dall, naissance d’un mythe »  Bernard de Parades-Christian Morvan-Fañch Postic- Patrick Mathieu

                  Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Matilin_an_Dall

  • (1) Compte tenu du manque d’hygiène, de propreté, et de l’absence de soins , cette maladie fait à l’époque des ravages, tant en ville qu’en campagne, dans la population la plus vulnérable. Elle laisse d’horribles  marques sur le visage de ceux qui en réchappent, tue un malade sur cinq et provoque de très nombreuses cécités.

Les Sœurs de la Sagesse est un ordre créé par le père  Grignon de Monfort. Ce religieux originaire de Bretagne a vécu quelques temps à La Rochelle, où, en 1712 il rédige son ouvrage le plus connu « Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge ». Les Sœurs de la Sagesse se sont installées à Quimperlé en 1761. Chassées de l’hospice pendant la période très agitée de la révolution et de la terreur, elles réintègrent l’hospice en avril  1797. L’hôpital a toujours accueilli des aveugles . Pour les soulager de leur infirmité, les religieuses et les visiteurs leur parlaient beaucoup.

  • (2) A cette époque, on commence à attacher de l’importance à l’instruction des aveugles et les activités musicales sont souvent une des orientations retenues.  
  • (3) Le serpent est un instrument à vent de la famille des cuivres bien qu’il soit en bois recouvert de cuir. Son invention, vers 1590, est attribuée à un chanoine d’Auxerre, Edme Guillaume. Le serpent a longtemps accompagné le chant liturgique et le choeur dont il renforçait la partie grave lors des offices Il restera un des instruments principaux d’église jusque vers 1830, époque où il fut petit à petit remplacé par d’autres instruments comme l’ophicléide, puis par l’orgue.
  • (4) Au début du XIX siècle le couple biniou-bombarde est l’un des symboles de la culture bretonne, même si ces instruments ne sont utilisés qu’au sud d’une ligne Redon-Ploërmel-Carhaix-Brest.
  • (5) Chose rare pour l’époque où la plupart des musiciens exercent une autre profession. Généralement une profession qui les laisse maître de leur emploi du temps. ( artisan, commerçant …)  
  • (6) La rémunération normale d’un sonneur est de 6 francs par jour, ce qui représente tout de même l’équivalent de 6 jours de travail. Lors de la fête des courses de St Brieuc en 1838 , fête qui dure trois jours, on note que Matilin demande et obtient un cachet de 200 francs (120 francs payés par la commune et le reste par souscription auprès des participants à la fête )
  •  (7) Les musiciens bretons , quels que soient leurs instruments, sont appelés « sonneurs », alors que dans le reste de la France on emploie plutôt le terme de ménestrier. 
  • (8) Il est difficile de savoir aujourd’hui quelles étaient les danses pratiquées à l’époque de Matilin mais partout on danse en rondes ( ronds, laridés…,) ou en longues files (gavottes, plinns…) , les danses à figures (dérobée, quadrilles)…semblent plus rares. Mais chaque localité revendique des particularités de rythme ou de pas . Ces festivités peuvent réunir de très nombreux danseurs venant des environs plus ou moins proches. Dans beaucoup de bals, on note la publication d’un règlement de bal et la nomination de commissaires, arborant l’écharpe tricolore, chargé de le faire respecter ….et de mettre fin aux bagarres qui sont fréquentes. 
  • (9) Cette capacité à s’extraire du traditionnel breton a sans doute contribué largement au succès de Matilin de son vivant. Mais c’est aussi la raison de son oubli. A cette période où les musiciens traditionnels devaient se défendre contre l’apparition de nouveaux instruments tels que l’accordéon et le goût pour les airs venus de la Capitale ( scottish, polka..) succéda un retour à l’authenticité notamment sous l’impulsion de la BAS qui, habilement, lors des premiers concours, exclut les anciens sonneurs sous prétexte qu’ils rafleraient toutes les premières places. 
  • (10) La Tour d’Auvergne est né à Carhaix  en 1743. Après une carrière héroïque, il est nommé « premier grenadier des armées de la République » par Bonaparte. Il décède au combat à Oberhausen en Bavière, le 27 juin 1800. Ses cendres sont transférées au Panthéon en 1889. A noter, son ouvrage paru en 1792 : « Nouvelles recherches sur les langues, l’origine  et les antiquités des Bretons » qui eut un certain succès à son époque.
  • (11) Le prince de Joinville est connu pour avoir rapatrié  les cendres de Napoléon à bord de la Belle-Poule ( une frégate de 40 canons , troisième du nom, à ne pas confondre avec l’actuel navire école de la Marine Nationale qui est une goélette paimpolaise construite à Fécamp en 1932 et destinée à la pêche à la morue). Officier de marine, après un long périple dans les mers du sud, il épouse la sœur de Pierre II, empereur du Brésil. Une grande fête est donnée en l’honneur du couple princier qui revient à Brest le 22 juillet 1843, le duc quittant aussi le commandement de « La Belle Poule ».
  • (12) A la mort accidentelle le 13 juillet 1842 du duc d’Orléans, le duc de Nemours est nommé régent. Afin de se faire connaître, il entreprend des voyages à travers la province. Des couples de Bretons en costume, les plus beaux, les plus riches, de diverses régions de Bretagne sont invités aux bals. Ces spectacles de danse préfigurent les futures fêtes folkloriques. Le duc de Nemours fera cadeau d’une bombarde en ébène à Matilin.
  • (13) Venant de Cherbourg à bord du vaisseau amiral « La Bretagne », le couple impérial débarque à Brest le 9 août 1858. Le voyage se poursuit en calèche, Quimper, Châteaulin, Pontivy, St Brieuc ,St Malo et enfin Rennes, le 21 août.
  • (14) Le fait mérite d’être signalé, car à cette époque, les sonneurs, comme les bistrotiers, étaient souvent excommuniés d’office.  
  • (15) A la différence du concours des sonneurs avec éliminatoire par terroir et finale à Gourin,(le premier week-end de septembre), le trophée « Matilin an Dall » est un concours sur invitation. Les huit couples en compétition doivent présenter  une suite qui, tout en restant d’inspiration traditionnelle, doit témoigner d’un esprit imaginatif et créatif. Ci après quelques liens vers des vidéos de ce concours .
  • (16) Le journal « O lo lé » ,( le cri d’appel des bergers bretons) a pris la suite du journal «  Cœur Vaillant » qui cessa de paraître sous l’occupation. Ce journal créé en novembre 1940 disparaîtra en mai 1944 après 130 numéros. Les aventures de Matilin, très éloignées de la réalité, sont imaginées par Herry Caouissin et dessinées par Thomen afin de lutter contre Bécassine et l’image déplorable de la Bretagne qu’elle colporte.